La   « Caverne du Pont d’arc » ou le triomphe de la  Culture-marchandise! (suite...)
                                            En novembre 2015, à l’issue de la première saison du fac-similé de  la Grotte Chauvet, passablement irrités à la lecture d’un mail provenant de son  service presse hardiment intitulé « Prolonger notre succès » nous  n’avions pu résister au besoin d’exprimer notre point de vue (dissonant !)  afin de tenter de rétablir quelques vérités singulièrement bafouées (cf.  ci-dessous). 
                                            Mais deux ans plus tard est-il nécessaire de rectifier ou de modérer le  propos ? Si l’on s’en tient à la surface des choses il est indéniable que  quelques améliorations ont vu le jour et que le visiteur semble sensiblement  mieux considéré…Je dis « semble » car, 
                                            à y regarder de plus près,  rien sur le fond n’a vraiment changé. L’ « évolution » la plus  visible réside dans la distribution de casques audio qui, il est vrai,  permettent à tout un chacun d’entendre distinctement les commentaires du guide,  jusque-là  essentiellement réservés aux  visiteurs assez proches de lui pour ne pas être parasités par ceux des guides  des groupes suivants ou précédents. Mais peut-on sincèrement percevoir ce type  d’optimisation du « confort auditif » comme le signe d’une  modification réelle de la stratégie commerciale à l’œuvre ? Ne peut-on y  voir, bien au contraire, un « aménagement » indispensable, à même de  la faire mieux tolérer en réponse aux innombrables plaintes et avis  défavorables entachant sérieusement la réputation du lieu ? Et ceci sans  réduire d’un iota la fréquence d’enfournement   des groupes ni bien entendu le nombre d’individus les composant… Il est  même, à postériori, surprenant qu’ils n’y aient pas songé plus tôt car  c’est une solution bien connue et fort utilisée dans l’industrie culturelle de  masse… 
 Le second ajustement concerne les  critères de recrutement des guides… Jusque-là, seule la maitrise de plusieurs  langues était primordiale voire souvent suffisante pour être embauché. Ceci dit  vu les conditions de travail imposées (le nombre impressionnant d’arrêts de  maladie et les trois procès intentés aux prud’hommes en attestent (1)) il  était certainement préférable d’employer des personnes moins enclines à se  rebeller… 
Mais début 2017 ces « perturbations managériales » du début sont à  oublier puisque selon  
Me Christophe Jollivet, du barreau de Périgueux, conseil du délégataire (la  société Kléber Rossillon) « la Caverne n’a eu de cesse d’améliorer les  conditions de travail depuis l’ouverture du site »… Dont acte ! Et tant  mieux n’est-ce pas …!? Même si, là également, il n’est pas interdit de  s’interroger sur la sincérité de tels propos prononcés dans un tribunal réuni  pour juger justement de graves manquements aux droits des travailleurs.  D’ailleurs cette déclaration sonne plus comme un aveu qu’une réelle disculpation  puisque s’il fallait les améliorer c’est bien que ces conditions de travail n’étaient  pas aux normes, à moins bien sûr que la société Kléber Rossillon n’ait, jusqu’à  présent,  modestement dissimulé une  vocation philanthropique … !?   
Alors oui, s’il est possible d’évoquer une amélioration sensible  des conditions de visite il faut bien constater que sur le fond rien n’a  vraiment changé. En février 2017 le gérant annonçait avoir atteint le million  de visiteurs (en moins de deux ans !) au-delà même de  ses propres pronostics… Le nombre d’entrées  reste donc bien le principal objectif et la société Kléber Rossillon en est  bien toujours la première bénéficiaire. C’est dans le modèle de délégation de service  public à des organismes privés et l’évidente  contradiction dans les termes qui la fonde que  réside la source du problème. La rentabilité et le bien commun sont par essence  antithétiques et irréconciliables.  
Qui oserait affirmer que l’incontestable dégradation systématique des services  dits publics  n’est pas directement  imputable aux modèles entrepreneurial et managérial qui de nos jours y règnent  en maître ? Alors comment ne pourrait-il pas en être  de même pour la culture ?  
A l’aube de ce printemps 2018 les résistances individuelles et collectives émergent  et s’affichent dans tous les secteurs en charge du bien commun. Nous en sommes  heureux et solidaires !  
                                               
                                             
                                            
                                            
                                            
                                              
                                                ______________________________________________________________________________________  | 
                                               
                                             
                                            Lettre ouverte à Mr Deudon (gestionnaire du facsimilé de la Grotte  Chauvet dit  « La Caverne du Pont  d’arc »)  
                                              mandaté par  la société  Kléber Rossillon et, accessoirement, aux élus qui sont à l’origine de cette  « Délégation de service public ». 
                                            Ce courrier fait  suite au  mail envoyé début octobre 2015 aux « acteurs touristiques » de la  région et intitulé « Prolonger notre succès » dont voici  copie :  
                                            
                                              
                                                « Avec  400 000 entrées en cinq mois, le succès de la Caverne est plus qu’éloquent. Ce  lancement réussi doit beaucoup au Syndicat mixte, maître d’ouvrage d’un joyau  culturel unique au monde, et chef d’orchestre d’une couverture médiatique  internationale hors du commun. L’exploitant a pour sa part relevé de nombreux  défis, dont le principal fut peut-être de réussir à s’adapter constamment et  dans des délais courts, aux attentes des différents publics, en plein cœur  d’une saison estivale. L’équipe qui m’a entourée s’est montrée extrêmement  performante et motivée. Je l’en remercie sincèrement. 
                                                    Les semaines  à venir seront déterminantes pour garantir la capacité de la Caverne à  conserver son attractivité, une fois passée la saison touristique. Elles  devront également être mises à profit pour renforcer les liens avec les acteurs  du territoire, mais aussi avec la population de proximité. A ce titre, pour  répondre aux nombreuses demandes et lancer un outil de fidélisation, j’ai  souhaité la mise en œuvre au 1er novembre 2015, de la Carte annuelle, dont les  modalités d’acquisition et d’utilisation vous sont exposées dans cette lettre  d’information. La Caverne devra enfin soutenir et promouvoir toutes les  initiatives des professionnels du tourisme faisant l’effort de maintenir leur  activité en basse saison 
                                                    Notre  philosophie d’action se résume en un seul mot d’ordre : que notre travail soit  toujours guidé par notre haute responsabilité vis-à-vis d’un patrimoine mondial  de l’Humanité! » 
Antoine Deudon   | 
                                               
                                             
                                            Cher Monsieur le « Directeur d’exploitation ». 
                                            Votre mailing ne peut laisser indifférent ne serait-ce déjà que  par son titre qui est définitivement attrayant  par son arrogance assumée, ou bien sa consternante  ingénuité …A vous de nous dire! 
                                              Mais enfin de quoi nous parlez-vous ? 
                                              Il est vrai que l’intitulé de votre profession ne laissant  guère de doute quant à vos critères  d’appréciation, « 400 000 entrées en cinq mois » claque effectivement  comme  une incontestable réussite … 
                                              Pourtant, pour encore quelques un parmi nous, dès qu’on remplace  quantité par qualité cet enthousiasme présomptueux apparait  bien éloigné de la réalité vécue par les  visiteurs. 
                                              A les écouter attentivement et au risque de vous peiner il serait peut-être  plus juste de parler de lamentable échec. 
                                              Car, ne vous en déplaise, peu sont ceux qui apprécient pleinement  le fait d’être considérés comme un vaste troupeau, réparti par paquets d’en  moyenne 25 têtes, enfournés toutes les 4 minutes pour subir un parcours d’à  peine 50, dont l’éclairage des fresques,   automatique et minuté, rythme la marche forcée au sein de ce, comment dites-vous,  ah oui !: « joyau culturel ». 
                                              Bien sûr je caricature et il en est (bien rares !) parmi « vos »  visiteurs, qui ont eu la chance de faire partie d’un plus petit groupe (par  exemple tôt le matin ou entre midi et deux pendant que tous les autres «  profitaient » de l’excellence de votre restaurant « 400 couverts jours »…)  accompagnés par un guide attentif et concerné et qui même parfois, comble de  privilège, leur a offert, en appuyant sur le bouton à sa disposition, quelques  secondes de lumière supplémentaire ! Et ceux-ci, comme par extraordinaire,  furent tous enchantés.  
                                              Comme quoi, avec un minimum de considération, il n’est peut-être  pas si difficile de se faire aimer ! Car, et c’est bien là le plus désolant, la  réalisation de ce site est tout à fait remarquable. D’abord le projet  architectural, à la hauteur de l’enjeu et intégré dans un cadre naturel  préservé et puis surtout le soin apporté à la reconstitution de la grotte  elle-même ainsi que la qualité exceptionnelle des peintures et dessins  reproduits.  
                                              Alors, il est permis de penser qu’en tout premier lieu, tous ces  gens (scientifiques, techniciens, plasticiens, etc., et bien sûr, surtout les  maçons)  qui ont tant donné de leur temps  et de leur énergie pour mener matériellement ce projet à terme et dans les  délais impartis, auraient certainement souhaité (et mérité !) que  l’exposition au public de leurs efforts soit un peu mieux considéré.  
                                              Car lorsque vous vous auto-félicitez en proclamant,  
                                               
                                            
                                              
                                                | «  l’exploitant (c’est bien vous, ça !?) a pour sa part relevé de nombreux défis,  dont le principal fut peut-être de réussir à s’adapter constamment et dans des  délais courts, aux attentes des différents publics, en plein cœur d’une saison  estivale »  | 
                                               
                                             
                                            il y a comme une sorte de prurit d’indignation qui nous court sur  l’épiderme et qui nous force à réagir et à dénoncer ce tour de passe-passe  managérial qui laisse croire que vous n’avez fait que répondre à une extrême  demande (contenter tout un chacun de ce bon peuple désireux de contempler ces  chefs d’œuvres patrimoniaux…) alors que c’est vous, et vous seul, qui avait  créé artificiellement cet afflux massif du public ; de votre propre aveu  d’abord par « une couverture médiatique internationale hors du commun » et  ensuite par les différents contrats passés avec les acteurs majeurs de  l’industrie touristique. Vous avez même osé pratiquer le « marketing de la  rareté » sur votre page de réservation en ligne   en affichant trompeusement « complet »   sur certaines dates  pour quelques  heures seulement afin de « stimuler » la demande !  
                                              Alors je voudrais ici rappeler deux ou trois vérités essentielles  que vous maltraitez allégrement : 
                                              55 millions  d’euros de fonds publics (Europe, Etat, région, département) ont été investis  dans ce projet et vous en avez obtenu la gestion sous contrat de Délégation de  service public. Bien que peu informé sur la teneur de cette concession (mais  qui l’est !?) il est raisonnable de penser que puisqu’il s’agit de bien public  vous êtes, d’une manière ou d’une autre tenu de le servir et non de vous  servir… 
                                              Qu’il s’agit  bien, comme on nous l’a communiqué jusqu’à plus soif, de mettre à la  disposition et à la vue des citoyens, moyennant bien sûr un modique prix  d’entrée, un des trésors universels de notre histoire humaine d’ailleurs validé  par son inscription au patrimoine mondial de l’Unesco. Et non, comme il semble  bien aujourd’hui être le cas, de produire un parc d’attraction préhistorique à  des fins purement mercantiles sous couvert de développement économique  régional.  
                                              Et, enfin  mais surtout, que le simple fait de limiter drastiquement le temps de visite  tout en « maximisant » le rendement de fréquentation est en totale  contradiction avec l’idée même de ce que vous prétendez montrer. Pourtant le  télescopage d’une petite heure de visite avec un espace-temps vieux de 36000  ans et le sentiment flagrant  d’absurdité  qui en découle ne semblent pas vous avoir effleuré. 
                                            Et pourtant, faisant preuve d'une étonnante audace, vous n’hésitez  pas, pour clore brillamment votre message,   à proclamer: 
                                               « Notre philosophie  d’action se résume en un seul mot d’ordre : que notre travail soit toujours  guidé par notre haute responsabilité vis-à-vis d’un patrimoine mondial de  l’Humanité! »(Sic !) 
                                              Mais pour demeurer impartial il faut bien admettre que vous n’êtes  en fait que tout à fait incidemment responsable de ce fiasco… Et si cette  lettre s’en prend d’abord à vous ce n’est que parce que vous avez le culot  (mais vous êtes peut être un grand naïf !?) de venir nous solliciter pour  prolonger vos performances. La capacité du mercantilisme à se considérer  comme normal semble infinie ! 
                                              Mais c’est bien aux « politiques » (mais peut-on encore les  qualifier ainsi sans discréditer le terme lui-même !?) qui vous ont « confié »  la gestion de cette aventure qu’il faut d’abord s’en prendre. Pourquoi livrer  le « bien  commun » aux « intérêts privés » (les mots usuels  sont parlants !) ? Même si de nos jours, dans ce pays comme dans le reste du  monde, cette  stratégie cyniquement  s’universalise, et qu’il peut apparaitre obsolète d’en être révolté, il me  semble qu’ici, dans ce cas bien particulier, son insanité, son absurdité et  surtout son imposture, sont étalées au grand jour.  
                                              Comme tous ces « responsables » et autres « décideurs » nous ont  parlé depuis des années (au sujet de ce projet de facsimilé) en tout premier  lieu de « Connaissances offertes au Grand Public », de « Patrimoine Mondial de  l’Humanité », en un mot de « Culture »,   il semble peut être à présent tout à fait légitime de leur demander  quelques comptes.     
                                              L’argument massue, asséné à chaque fois, sera de nous expliquer  que tout cela a un coût et qu’une « saine gestion » ne sert qu’à soulager les  finances publiques donc nos impôts. 
                                              Alors comptons ! 
                                              400 000 entrées que multiplient 10 € (en moyenne) ce sont déjà 4  millions d’euros de chiffre d’affaire auxquels il faut ajouter tous les «  revenus périphériques » certainement non négligeables (restaurant, boutiques,  etc.) et cela uniquement sur les premiers 5 mois d’exploitation. Une  consultation de la page de réservation en ligne du site de La Caverne à ce jour  laisse présumer  (à moins qu’il n’y ait  triche !?) d’un taux de remplissage tout à fait satisfaisant pour les mois à  venir. On peut donc tabler sans crainte de grossières erreurs pour un minimum  de 300 000 à 400 000 entrées supplémentaires avant  le bouclage de l’année d’exercice soit, au  plus bas, un produit brut global aux alentours de 8 millions d’Euros (à mettre  en relation aux  55 M€ investis)… Ce qui  permet d’envisager que le site sera amorti en moins de 10 ans avec une  production de bénéfices tout à fait substantielle ! Mais, au fait, qui va les  toucher?  
                                              Loin de moi l’idée qu’un tel projet se doit d’être déficitaire  mais un simple équilibre des comptes, sans profits générés semblerait plus  conforme à l’éthique qui soit disant le sous-tend. Ce faisant il serait alors  assez simple en réduisant les groupes de moitié et en offrant au public un  minimum de temps de visite (par exemple 75 mn…) de redonner à tout ce fatras  commercial sa véritable ambition instructive et donc enfin culturelle.  
                                              Car la culture (enfin la vraie et non pas ce qu’aujourd’hui l’on  nomme couramment ainsi) n’a pas vocation à être « rentable » et devoir  l’affirmer ici a quelque chose de surréaliste tant il s’agit d’une vitale  évidence. Mais voilà, c’est là où nous en sommes et il faut bien l’affronter… 
                                              Alors, Mesdames et Messieurs nos chers élus, qui avez oublié (ou  peut être bien jamais su !) quels étaient réellement vos devoirs envers  nous et tout particulièrement celui qui devrait être de protéger le bien commun  de tout accaparement privé (pour mémoire le verbe priver est synonyme de  déposséder, dépouiller !) allez-vous, au diapason  de Monsieur le « Directeur d’exploitation »  de la Caverne du Pont d’Arc, vous féliciter sans réserve de son admirable  succès ou bien dans un sursaut  inattendu  de lucidité prendre soudainement conscience de votre impéritie et décider à  l’unanimité de limiter les ardeurs vénales du bonhomme…et surtout de la société  Kléber-Rossillon qu’il représente ? 
                                              Je crains malheureusement de connaitre déjà la réponse mais au  moins, si jamais vous lisez ceci, vos autocongratulations à venir en  seront-elles un peu pondérées… 
                                              Avec mes meilleures salutations. 
                                            Le 28 octobre 2015 
                                               |